Thème 2 - Interfaces complexes : instrumentation, caractérisation in situ et suivi operando
Animateurs : K. Ngo et A. Wilson
L’étude de la réactivité de surface de systèmes complexes nécessite le plus souvent une instrumentation adaptée. Cette thématique « interfaces complexes » s’articule autour de projets fédérateurs de l’ensemble du laboratoire via différents axes scientifiques et techniques. Pour réaliser ces recherches, le laboratoire disposed’un parc d’instruments très variés (IR, XPS, UV-Vis, FTIR, Raman…), mais également d’accès privilégiés à des techniques de caractérisation de la Fédération de Chimie et Matériaux de Paris Centre (microscopies électroniques, RMN, DRX…) et de l’université (salle blanche). Il est important de souligner que les différents projets présentés dans cette partie sont liés à des développements instrumentaux importants qui soutiennent des avancées originales en science des matériaux.
Les progrès techniques réalisés dans le domaine de l’analyse in situ puis de l’analyse operando ont systématiquement été appliqués à l’étude de catalyseurs. L’obtention d’un catalyseur performant et le maintien de ses performances en conditions réelles de réaction (voir thème 3), implique de comprendre les propriétés fondamentales de sa phase active, d’identifier ou de suivre la formation et la consommation d’espèces réactives, et de comprendre comment ces espèces interagissent avec le catalyseur. De ce fait, il est essentiel de parvenir à étudier l’évolution des propriétés physico-chimiques d’un catalyseur au regard de l’évolution de ses performances catalytiques, et ce au plus près de ses conditions réelles de réaction. Ceci représente un challenge d’envergure, pour lequel l’équipe du LRS dispose d’un savoir-faire qui permet de développer à la fois un suivi de la synthèse et des performances des matériaux et un volet caractérisation grâce à la maîtrise de nombreuses techniques spectroscopiques. Par exemple, nous synthétisons au laboratoire des catalyseurs qui tirent leurs propriétés de phénomènes se produisant au cours de la réaction. Certains catalyseurs sont composés de nanoparticules multi-métalliques se restructurant durant leur utilisation, pour former une phase active. D’autres catalyseurs contiennent des précurseurs dispersés atomiquement au sein d’une matrice, l’activation consistant alors à former une phase active à partir des éléments qui la composent. C’est l’identification de ces sites actifs qui est au cœur de cet axe de recherche pour lequel le LRS a, ces dernières années, renforcé son expertise grâce à des recrutements et à des développements expérimentaux. Ainsi, dans le cadre d’un projet CNRS MITI 2023, le LRS est associé à la fédération de recherche FCMat de Sorbonne Université pour équiper un diffractomètre de rayon X (DIM Respore) avec un réacteur operando, un système de distribution de gaz et un système de détection de produits de la réaction d’intérêt. Pour pousser encore plus loin ce suivi en temps réel de l’évolution des propriétés structurales des catalyseurs, dans le cadre de l’ANRJCJC SACOCHE, le LRS développera un couplage in situ/operando de spectroscopies vibrationnelle (Raman) et électronique (UV-Visible) appliquées simultanément à un même réacteur catalytique à lit fixe sous flux réactionnel. Ce dernier sera connecté à un chromatographe en phase gazeuse pour l’évaluation simultanée des performances catalytiques, et pourra fonctionner en parallèle d’une cellule IR pour un suivi quantitatif des espèces adsorbées à la surface des catalyseurs. Enfin, le LRS est actif dans la communauté du Rayonnement Synchrotron, instrument privilégié pour l’analyse in situ et operando. Notre expertise développée autour de plusieurs techniques expérimentales permet d’aborder l’analyse des catalyseurs operando par exemple en utilisant l’absorption de rayon X (lignes ROCK et SAMBA à Soleil et FAME à l’ESRF), la diffraction de rayons X (ligne SIXS à Soleil) et la spectroscopie infrarouge (ligne AILES à Soleil).
Sinon, concernant la catalyse hétérogène solide/liquide, nous travaillons également au développement instrumental d’un montage pour la caractérisation des sites acides ou basiques des catalyseurs à l’interface solide liquide dans des conditions proches de celles de réaction. Ce montage permettra la mesure automatisée, sous flux, d’isothermes d’adsorption de molécules sondes acides ou basiques.
La compréhension de la dégradation des matériaux est cruciale pour la conception de matériaux plus durables et résistants. En effet, quelle que soit l’application visée, leur dégradation peut entraîner des défauts, des pertes de performance, voire même une perte complète de fonctionnalité. Les matériaux utilisés dans les infrastructures, les transports, l’aéronautique, la construction, l’énergie, la médecine et la santé, ou encore l’électronique peuvent tous être affectés par des phénomènes de dégradation, ce qui peut avoir des conséquences importantes sur leur durée de vie, leur fiabilité et leurs coûts de maintenance. Nos études sur la dégradation des matériaux se sont intensifiées ces dernières années avec l’arrivée d’un groupe d’électrochimistes et constitueront une des activités principales du LRS au cours du prochain plan quinquennal. Ces études concernent aussi bien la corrosion des matériaux que la protection contre la corrosion. Nous porterons une attention particulière dans l’étude des nouveaux matériaux tels que les alliages à haute entropie (ANR Tapas) pour lesquels nous essayons de comprendre le rôle que chaque élément joue dans les mécanismes de formation du film passif (film naturellement protecteur des alliages) ce qui permettra d’optimiser la composition de ces alliages pour une meilleure résistance à la corrosion. Là encore, l’aspect instrumentation et traitement du signal est primordial pour réaliser ces études. En effet, la rupture du film passif qui se fait le plus souvent dans des milieux agressifs comme les solutions contenant des ions halogénures, est un phénomène stochastique dont la fréquence d’apparition et le lieu sont des processus encore très mal décrits dans la littérature. Nous avons développé une approche unique qui permet de générer à volonté une piqûre, ce qui permet d’étudier de façon très fine la rupture de passivité. Nous essayons également de diversifier nos études en corrosion sur différents matériaux et environnements en explorant de nouvelles pistes. Par exemple, les projets récemment commencés concerneront l’étude de la corrosion du titane et de ses alliages utilisés comme implants dans le corps humain (ANR LoCoMecha) usinés par fabrication additive. Ces nouveaux modes de préparation des matériaux métalliques se traduit par une réactivité très différente de ceux issus de fonderie. L’étude de la protection de matériaux est un autre aspect de cet axe de recherche. Plusieurs voies sont envisagées. Par exemple, l’utilisation de l’acier inoxydable (316L) plus rentable et plus facilement usinable comme plaques bipolaires dans la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau est un sujet important que l’on aborde dans le cadre du PEPR H2 Costo. L’idée est de proposer des revêtements couvrants et résistants. Ici encore, la réactivité de surface est au cœur de cette thématique puisqu’il faut à la fois conserver les propriétés des matériaux en fonctionnement et éviter la dégradation de ces dispositifs poreux. Enfin, des projets exploratoires permettant le développement de techniques de mesures simples et efficaces pour orienter la recherche de nouveaux matériaux et revêtements résistants à la corrosion dans des environnements sévères (PEPR DIADEM ADream) complète le volet corrosion qui sera développé lors de la prochaine mandature. Outre l’originalité de la démarche, ce dernier projet permet également d’aborder une thématique associant l’intelligence artificielle (qui s’intègre dans les axes prioritaires de SU) et la corrosion grâce à un consortium très complémentaire réuni pour réaliser.
Nos travaux de recherche liés à l’énergie s’articulent, dans ce thème, principalement autour de deux axes. Le premier concerne les nouveaux systèmes de stockage électrochimique qui doivent être efficaces, durables et sûrs afin de concurrencer les systèmes Li-ion ou Na-ion qui fonctionnent en milieu organique. Les batteries à proton en milieu aqueux semblent remplir ces conditions mais présentent des limites liées à la corrosion des électrodes (les batteries Ni-MH fonctionnent dans des électrolytes KOH 7 à 8 M) et à la fenêtre électrochimique de l’eau. Nous proposons un nouveau concept de batterie à proton (ANR H-Bat) dans lequel l’électrolyte est un liquide ionique protique non corrosif associé à des électrodes négatives de forte capacité (hydrures métalliques de nouvelles générations à base de Mg) et des électrodes positives à haut potentiel (oxydes/phosphates). Parallèlement, nous proposons de développer des batteries sodium en milieu liquide ionique (thèse cotutelle avec le Brésil) dans l’objectif de répondre aux défis de trouver des alternatives aux batteries lithium-ion fonctionnant en milieu organique, mais pour lesquels de nouveaux matériaux d’électrodes positives présentent déjà des rendements intéressants en fonctionnement. Dans ces deux cas, un verrou technologique à lever est la réactivité des matériaux vis-à-vis de l’électrolyte. C’est sur ce dernier que nous concentrons nos efforts en modifiant l’anion ou le cation pour optimiser les performances de la batterie tout en minimisant la corrosion calendaire.
Le deuxième axe concerne le développement de microbatteries redox flow sans membrane pour des applications portatives. Récemment, nous avons développé un prototype d’une microbatterie fonctionnant sans membrane en milieu liquide ionique. Ces systèmes basés sur l’utilisation de couples rédox pour stocker et libérer de l’énergie leur confère une grande capacité de stockage. Dans le cas de systèmes microfluidiques, l’intérêt est que cette capacité est virtuellement infinie puisque l’objectif est de disposer d’un dispositif rechargeable, ce qui en fait une option écologique et économique. Nous développons cette voie en mettant l’accent sur l’amélioration des performances de la batterie grâce à l’utilisation d’électrodes poreuses, une nouvelle classe de liquide ionique et des espèces électrochimiques réactives adaptées. Ces systèmes présentent un grand potentiel pour l’intégration dans des dispositifs électroniques miniaturisés tels que les capteurs, les robots.
Nos activités sur les microsystèmes se poursuivront par le développement des puces microfluidiques avec des microélectrodes intégrées afin d’effectuer des mesures électriques ou électrochimiques. Ces microsystèmes sont particulièrement intéressants car ils nécessitent peu de réactifs et permettent de contrôler facilement le milieu de réaction au sein du microsystème. Un projet récemment commencé (thèse Institut SU IUIS) consiste à développer un « rein sur puce » avec pour objectif de mettre en place une plateforme microfluidique capable de reproduire la paroi capillaire glomérulaire du rein, partie du rein dans laquelle a lieu la filtration du sang pour former l’urine primitive, à partir d’un hydrogel de collagène de type IV. Cette tâche sera rendue possible grâce au caractère laminaire de l’écoulement des fluides dans les microcanaux fluidiques et l’intégration des microélectrodes au système permettra de mesurer et de suivre en temps réel, par spectroscopie d’impédance électrique, les modifications physiopathologiques de la paroi capillaire glomérulaire
Un autre aspect de cet axe concernera le développement de capteurs, en lien étroit avec le thème 1. La détection efficace de substances indésirables dans l’environnement est un enjeu majeur et une préoccupation sociétale importante comme discuté dans le thème précédent. C’est en particulier le cas pour les ressources en eau dont la surveillance nécessite une détection régulière, rapide et précise, dans un environnement mobile permettant une analyse sur site. Nous proposons de développer une plateforme de biodétection efficace pour la surveillance des ressources en eau via une combinaison réfléchie de la nanoplasmonique, de la miniaturisation des capteurs dans des cellules microfluidiques et de la lecture sensible grâce à un spectromètre portable. Nous ciblons des polluants organiques : le diclofénac, l’estradiol et le néonicotinoïde imidaclopride.